Nous publions ici un article des Echos parus en 2020 dont la pertinence reste parfaitement d’actualité quant au choix discutable de la laine de roche comme isolant pour les années à venir :
Par Antoine Boudet
Publié le 22 janv. 2020 à 12:52 Mis à jour le 22 janv. 2020 à 16:40
Le 9 juillet 2014, le rapport du député PS Jean-Yves Le Déaut et du sénateur UDI Marcel Deneux sur « Les freins réglementaires à l’innovation en matière d’économies d’énergie dans le bâtiment », était rendu public. Adopté à l’unanimité des dix-huit députés et dix-huit sénateurs composant le très sérieux Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst), il appelait à un choc salutaire alors que devait s’ouvrir à l’automne la discussion du projet de loi sur la transition énergétique porté par la ministre de l’Ecologie, du Développement durable et de l’Energie de l’époque, Ségolène Royal.
Après plus d’un an d’études et pas moins de 260 personnes auditionnées, c’était « un pavé dans la mare d’un secteur du bâtiment très conservateur », commentait alors Jean-Yves Le Déaut, premier vice-président de l’Office, scientifique reconnu et rapporteur de ce document de près de 100 pages. Cinq ans et demi après, il livre aux « Echos » son analyse de la situation actuelle du marché de l’isolation des bâtiments neufs et anciens, à l’heure où un arrêt de la Cour de cassation a définitivement débouté fin 2019 un syndicat de fabricants d’isolants en laines minérales de sa plainte déposée en 1998 contre la société Actis pour publicité mensongère, révélant aussi un véritable « Isolgate » sur les performances isolantes réelles des laines minérales, dont celles du leader Isover (filiale de Saint-Gobain).
Que vous inspire le récent arrêt de la Cour de cassation dans l’affaire dite « Actis » ?
Il ne m’a pas surpris, car il reprend point par point ce que disait notre rapport en 2014. Je note la lenteur extrême de nos dispositifs. Alors qu’une situation est connue, il faut attendre l’épuisement des procédures judiciaires pour que se pose enfin, et obligatoirement, le problème. Nous écrivions alors que la résistance thermique des laines minérales évaluée en laboratoire chute très fortement lorsqu’elles sont mises en oeuvre dans les bâtiments et que leur mise en place « doit s’accompagner de l’installation complémentaire sur la face intérieure d’un pare vapeur pour bloquer l’humidité, et sur la face extérieure d’un pare pluie pour empêcher les infiltrations. » Force est de constater que la performance énergétique est largement conditionnée par la qualité de la pose du matériau. Or, en France, aucun contrôle de la performance énergétique n’est effectué a posteriori. Il s’agit bien d’un « isolgate », car je compare ce dossier à celui que nous avions expertisé en son temps à l’Office sur les moteurs de voiture diesel où manifestement, comme ici, les performances étaient calculées de manière théorique pour masquer la réalité.
L’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, l’Opecst, appelait à l’époque à un choc salutaire, et ce alors même que devaient s’ouvrir les discussions au Parlement sur le projet de loi sur la transition énergétique. Plus de 5 ans après, quel constat dressez-vous de la situation ?
Je vais vous faire à peu près la même réponse qu’il y a quelques semaines devant la mission d’information de l’Assemblée nationale sur Lubrizol où j’étais pré-auditionné pour avoir été rapporteur sur l’affaire AZF. On a appliqué la technique du mirabellier, en secouant le dossier. Pour ce qui concerne notre sujet, il en a résulté quelques décisions positives, comme la création d’un conseil supérieur de la construction, qui existait déjà, et de l’efficacité énergétique, et l’instauration d’un meilleur contrôle du Centre scientifique et technique du bâtiment, le CSTB. Sans aller néanmoins jusqu’à suivre ma recommandation de séparer l’activité de prescripteur de celle de prestataire, comme cela a été fait dans le nucléaire. En revanche, rien n’a changé sur l’essentiel, à savoir les mesures de performances.
Pourquoi rien n’a changé, alors que tout le monde savait ?
Les experts interrogés à l’époque disaient en effet que les performances de la laine de verre posée dans les bâtiments étaient dégradées. Pourquoi ils n’ont pas été écoutés ? Il reviendra à l’Autorité de la concurrence de le dire, mais peut-être parce qu’il y a des intérêts en jeu… En attendant, des sommes énormes sont en jeu. L’Etat verse chaque année des milliards d’euros au titre de l’isolation thermique des bâtiments. Si ces aides sont accordées à des produits dont les performances sont en réalité en deçà de celles affichées dans les conditions de pose actuelles, c’est très grave !
Que préconisez-vous pour mettre fin à cet « isolgate » ?
Il y a plusieurs choses à faire. Il faut que la Cour des comptes se saisisse du dossier des aides. C’est la moindre des choses, il s’agit d’argent public. L’Opecst devrait en outre exercer son droit de suite, pour faire une évaluation de la situation actuelle. Une mission d’information parlementaire sur les aides pourrait être mise en place. La Direction de l’Habitat, de l’Urbanisme et des Paysages (DHUP), au Ministère de la Transition Ecologique et Solidaire, et le CSTB devraient faire la lumière sur les moteurs de calcul des performances des produits isolants, d’une grande opacité. Enfin, et c’est le plus simple et le plus rapide, le gouvernement doit prendre sans tarder un arrêté ministériel pour imposer les conditions de pose des laines minérales. Il est encore temps de mener ce travail notamment dans le cadre de la RE 2020 qui doit rentrer en application au 1er janvier 2021.
Antoine Boudet