Knauf votre respect – Moselle : l’isolant de la discorde

Un article du journal CQFD par Sébastien Bonetti.

À Illange, une usine appartenant au géant Knauf Insulation et spécialisée dans cet isolant qu’est la laine de roche, a été imposée aux habitants à grand renfort de discours sur l’emploi (des postes) et l’environnement (de l’écolo). Une double arnaque, dénoncée par les militants locaux.

« I DON’T SPEAK FRENCH, SORRY. Ah ? This is a protest ? I understand… I hope it won’t be too long. » Andrej est pensif. Ce Tchèque de 30 ans, qui fait partie du demi-million de travailleurs détachés en France1 et des quelques dizaines de ce chantier d’Illange, en Moselle, regarde avec inquiétude la cinquantaine de manifestants qui bloquent l’accès au site. Dans quelques jours, il doit en effet retourner dans son pays pour retrouver sa femme et sa fille. À ses côtés, des Autrichiens, des Albanais ou encore des Polonais. Pas un employé de la file de voitures ne parle français. Militant insoumis, Yves déplore la situation : « Ils nous font de la peine ces gaillards, qui flinguent leur vie de famille en partant à l’autre bout de l’Europe pour gagner un petit salaire avec absence de cotisations sociales. S’ils tombent malades, ils n’ont rien. On préférerait qu’ils aient du boulot chez eux, tout comme les ouvriers du coin. Vive cette Europe du dumping social… C’est pourtant l’argument ultime des grands défenseurs du projet quand ils ne peuvent plus justifier la pollution annoncée. La construction et le fonctionnement de cette usine fabriquant de la laine de roche devaient booster l’emploi local, jusqu’à 120 postes promis²… »

Knaufwiedersehen

Ce matin, Yves est fatigué. Il n’a pas hésité à se lever une heure avant l’aube pour protester contre l’installation de Knauf Insulation dans son village. Tout comme Monique, presque octogénaire, bien difficile à suivre sur le chemin menant au grillage de la multinationale au 1,7 milliard d’euros de chiffre d’affaires3. Elle fulmine : « C’étaient de bonnes terres agricoles il y a vingt ans. Mais le président du conseil général, Patrick Weiten, a exproprié les agriculteurs en annonçant de futures installations et des milliers d’emplois. Il y a six ans, les élus régionaux se félicitaient même de l’arrivée prochaine de plusieurs entreprises chinoises. Mais personne n’est venu, alors que des millions d’euros d’argent public ont été dépensés pour tenter de les attirer… »

  • « Du coup, ils se sont rabattus sur Knauf, pour garder la face ? », je lui demande, peinant à reprendre mon souffle alors que la mamie déterminée fonce vers son objectif.
  • « Exactement. En expliquant que depuis la casse de la sidérurgie dans les vallées voisines, on ne pouvait pas cracher sur 120 emplois. Mais faut voir lesquels : du précaire, des travailleurs détachés, et des conditions de travail toxiques. Knauf a été éjectée de Differdange et Sanem, au Luxembourg, parce que les études d’impact laissaient apparaître de lourdes pollutions : des centaines de tonnes d’oxydes d’azote, d’oxydes de soufre, d’ammoniac, de phénol, de formaldéhyde, de monoxyde de carbone ou encore de chlorure d’hydrogène vont sortir de leur cheminée de 60 mètres. Et ce que la préfecture de Moselle autorise comme rejets polluants est jusqu’à 75 fois supérieur à ce que le Land de Saxe autorise à Knauf Leipzig. »
  • « Maman, arrête de parler, et avance, on va se faire coincer » l’interrompt son fils Marc, inquiet à l’idée que les gendarmes arrivent avant que lui et ses amis n’aient le temps de déployer leurs banderoles et de bloquer l’entrée du site.

Des gendarmes, il y en aura finalement très peu, le gros des troupes étant mobilisé ce jour-là au G7 de l’environnement à Metz (lire article ci-contre). Rejoints par d’autres habitants du coin, des militants d’associations écologistes comme Extinction Rebellion et des Gilets jaunes du secteur, Monique, Marc et leurs amis forment très vite un cordon. Marc se lâche : « Vous vous rendez compte qu’à l’heure où tous ces beaux hommes politiques parlent de transition écologique à Metz, à l’heure où tous les indicateurs scientifiques sont dans le rouge, la préfecture et les hommes politiques locaux poussent à l’installation de Knauf, qui tournera au charbon, qu’on fera venir de camions de Pologne ? »

Vilaine laine

On reprend donc : des agriculteurs expropriés pour des dizaines d’emplois pour l’instant occupés par des travailleurs détachés, du coke comme carburant, des rejets atmosphériques plus qu’inquiétants (dont 70 000 tonnes annuelles de gaz à effet de serre), des millions d’euros d’argent public dépensés, une enquête publique n’intégrant pas toutes les communes impactées. Il doit bien y avoir du positif dans ce projet ? Patrick Weiten assure que « les dirigeants de Knauf se sont engagés à respecter nos valeurs ». Leurs valeurs ? « La défense de l’environnement. L’écologie et le bien-être des populations sont nos objectifs. Et fabriquer de laine de roche comme isolant est écologique. »

Le problème, c’est que dès 1988, alors que le radeau de l’amiante commence sérieusement à tanguer, et que l’un de ses substituts, la laine de roche donc, est mis en avant, le Centre international de recherche sur le cancer classe cette dernière comme « agent cancérogène possible pour l’homme. » Ce ne sont pas Julie et Bertrand, installés à Illange depuis quelques mois, dans la maison de la famille de Julie, qui affirmeront l’inverse. « La laine de roche sera l’un des futurs scandales sanitaires, c’est une certitude, dit Bertrand. Mes collègues architectes et les salariés du bâtiment avec qui je bosse au Luxembourg le disent. » Le couple a donc décidé de quitter son nid douillet. Il ne rachètera pas la maison à la famille de Julie – sa valeur a pourtant chuté de 178 000 à 120 000 € en deux ans. « On se voyait finir nos jours ici, avec nos deux gosses. Mais ils ont déjà de graves problèmes respiratoires avec l’A31 qui passe à 300 mètres. Knauf serait à 500 mètres d’ici et de leur école. Et la préfecture et les élus régionaux veulent aller au bout du projet de construction d’une autoroute supplémentaire, l’A31 bis, qui traverserait notre forêt. On est trop gentils, nous, les petites gens. On devrait leur mettre le feu », enchaîne le papa devant ses enfants. Avant de conclure, un brin gêné, « Oui, toute cette histoire m’a radicalisé… »††††


LE G7, DE METZ À BIARRITZ

« On vous conseille de lever le blocage. Plusieurs cars de CRS sont en chemin. » Ce lundi 6 mai, les deux gendarmes chargés d’ouvrir la voie aux ouvriers du chantier de l’usine Knauf d’Illange ne pèsent pas bien lourd face à la cinquantaine de manifestants. Du coup, ils tentent un coup de bluff en annonçant l’arrivée de la cavalerie… qui ne viendra jamais.

La masse des pandores, 3 000 agents, est en effet déployée à Metz, pour cause de « G7 de l’environnement ». France, Allemagne, Japon, États-Unis, Canada, Italie et Royaume-Uni, plus quelques invités exceptionnels, issus de pays comme le Chili ou les Fidji : les ministres de l’Environnement sont là, réunis, dans le bien louables objectif de se pencher sur la biodiversité.

On le rappelle : « L’homme est responsable de la sixième grande extinction des espèces depuis l’appartion de la vie sur Terre. Costaud. Mais François de Rugy et ses copains ont adopté lundi 6 mai la Charte de Metz, jurant, si je mens, je vais en enfer, d’ «accélérer et intensifier [leurs] efforts pour mettre fin à la perte de biodiversité. » Le document complet, merveille de langue de bois non contraignante, rempli de « co-bénéfices » et de « biodiversité intégrée dans les secteurs commerciaux » est à retrouver sur internet… et à décortiquer avant de prendre la direction de Biarritz (Pyrénées Atlantiques).

Car du 24 au 26 août, ce sont cette fois les présidents des sept pays qui seront réunis. À Metz, plusieurs actions de désobéissance civile ont eu lieu et une manifestation a rassemblé plus de 3 000 personnes. Bonus, un collectif de militants est né : l’Alter G7. Au Pays basque, on n’en attend pas moins.

Plus d’informations sur le G7 de Biarritz sur : http://g7ez.eus/fr/appel/
et « G7 NON C’EST NON » sur Facebook

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